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25 octobre 2013

Grave E.T. - ou le syndrome de Stockholm des réalisateurs étrangers expatriés aux USA

Hier soir je me suis décidé à braver la foule et le temps maussade pour aller dans un grand cinéma parisien voir le dernier film d'Alfonso Cuaron.

On a pratiquement autant parlé de ce film que de "La Vie d'Adèle". Ce qui n'est pas peu dire. La prouesse technique, le pitch imbattable, l'histoire "à un seul personnage - ou deux - bref ils ne sont pas beaucoup", enfin un vrai rôle pour Sandra Bullock, passons, que de bonnes raisons d'en parler, à n'en plus finir, sur tous les tons. Cameron - quand même pas un newbie du film de SF - déclare que c'est le meilleur film sur l'espace jamais fait. On le compare à "2001, l'Odyssée de l'espace" (S. Kubrick, 1968, pour ceux qui étaient en hibernation cryogénique depuis la seconde guerre mondiale).

On avait envie de se réjouir de cette sortie. On avait envie de le VOIR. D'en croire ses yeux, et d'en prendre plein les mirettes au passage.

On l'a vu. Et une seule question à la fin du film. Pourquoi? Ou plutôt, pourquoiiiiiiiii?

Alfonso, je ne sais pas ce qui s'est passé. Dis-moi que tu étais fatigué. Déprimé. Que tu as des problèmes d'argent. Que tu as voulu faire plaisir à ton fils (co-scénariste, oui) en lui offrant SON film - si c'est le cas, sache que ta progéniture a des goûts de merde. Car sinon comment expliquer que toi, producteur éclairé de films innovants, réalisateur d'un des meilleurs films de SF de ces 20 dernières années ("Children of Men", 2006, pour ceux qui décongèlent), Mexicain qui a réussi à décrocher les clés de Hollywood, tu aies torpillé ton film à ce point? Volontairement?

Je m'explique. Je n'ai rien contre les images époustouflantes. J'ai été, comme tout le monde, soufflé par la 3D parfaite (et pas du tout superflue, pour une fois). Pour quelqu'un comme moi qui s'intéresse à tout ce qui touche à l'exploration spatiale, j'ai apprécié l'exactitude scientifique, plutôt rare dans le cinéma à grand spectacle, de ce qui se déroule à l'écran. Sandra Bollock est juste et crédible en spationaute novice plongée dans la tourmente. Ce qui me donne envie de crier (même si dans l'espace internet, personne ne vous entend), de hurler même, c'est ton scénario. Que tu as écrit à quatre mains avec ton fiston, parait-il.

ne rien lacher

Sauf le scénario

Pitch de rêve 

Gravity, c'est l'histoire d'une jeune scientifique, Ryan Stone, spationaute inexpérimentée, qui doit installer un logiciel de sa conception sur le téléscope en orbite Hubble. Lors d'une opération de maintenance, se produit le pire : un missile lancé par accident touche un satellite, qui entre à son tour en collision avec des objets en orbite, créant un nuage de débris qui heurte de plein fouet la navette depuis laquelle elle travaille. Ryan se trouve éjectée du téléscope, et commence à dériver, seule, dans l'espace.

Ce qu'on aurait dû voir 

Un grand film métaphysique sur la condition d'être humain, lorsque l'on est privé de tout. Sans communication radio, sans lumière, sans air, sans contact, comment survit-on? Peut-on seulement survivre? On peut imaginer la panique, puis la détresse, et enfin l'acceptation du personnage. Les différents états d'esprit par lesquels Ryan passe, de l'accident jusqu'à la fin. Le cheminement pour accepter d'embrasser le néant, avant de mourir, ou de retrouver le chemin de la Terre (selon qu'on aime ou non les happy ends) Une odyssée intime à l'échelle interspatiale, donc. Et le SILENCE qui accompagne cette méditation.

Ce qu'on a vu (attention spoilers!)

Des scènes d'actions à couper le souffle, des plans d'une beauté infinie, une actrice à l’interprétation juste et touchante. Et tout ceci écrasé par un scénario guimauve, entrecoupé de scènes ineptes et peu réalistes, à la symbolique ultra-lourdingue (et je pèse mes mots).

Le fait que Ryan dérive seule dans le vide sidéral n'était visiblement pas un élément narratif assez fort, puisqu'on nous emballe ça dans une histoire de trauma (sa fille est morte) à base de "pourquoi rentrer si personne ne m'attend? Bouhou autant couper mon oxygène et mourir". On nous ajoute une ridicule scène d'hallucination où un spationaute mort vient lui expliquer comment rentrer sur Terre (ha mais non, en fait c'est son inconscient qui parle avec la voix de George Clooney, que c'est fin et bien amené) Et tout au long du film, des allusions trèèèès subtiles à la maternité (Ha! la position foetale de Ryan dès qu'elle se retrouve à l'abri dans le Soyouz. Ha! ce dernier plan en contre-plongée, sublimant la puissance de Sandra Bullock, de retour sur la Terre-mère!)

Car bien entendu, après moult péripéties, le Dr Stone retrouve la terre ferme. De toute logique quand on sait qu'elle est une spationaute inexpérimentée, dont c'est la première sortie dans l'espace, et qu'elle ne bénéficie d'aucune aide de la part de la NASA.

Sans oublier que cette odyssée en solitaire dans le vide est littéralement noyée dans le bruit : musique envahissante (et franchement pas terrible), dialogue/monologue ininterrompu, bruitages et wooshes en tout genre à tout bout de champ. Quand on pense que Kubrick a créé certaines des scènes les plus oppressantes du cinéma de SF, avec juste la respiration d'un homme dans le silence sidéral...

 

sandra pain

Sandra souffre de la niaiserie de son dialogue

Au-delà de la déception que "Gravity" a représenté pour moi, il pose une nouvelle fois la question de l'effet pervers que Hollywood exerce sur les réalisateurs étrangers. L'enrobage mielleux dont bénéficie l'histoire de "Gravity" ressemble à un pur travail de studio. Surtout, ne pas produire un film trop intelligent! Ne pas offrir au spectateur de quoi réfléchir lorsque les lumières sont rallumées! Pas de prise de risque en réalisant une œuvre exigeante/aride/philosophique/subversive (rayer la mention inutile)! Non, non, faisons en sorte que tout soit mâché et remâché pour que le spectateur n'aie pas besoin d'imaginer. Imaginer, quelle horreur!

Là où ça gratte, c'est que c'est le deuxième blockbuster cette année d'un réalisateur mexicain, tourné à Hollywood, qui est un épouvantable gâchis. Je parle bien sûr de "Pacific Rim" de Guillermo Del Toro. Les points communs avec "Gravity"? C'est un film de SF au pitch séduisant, époustouflant visuellement, totalement torpillé par le scénario le plus niais jamais vu (il bat largement Gravity de ce côté-là, faut admettre).

Guillermo a crié sur tout les toits que c'était son film le plus personnel, et ça, ça fait peur. Tout comme Cuaron présente son film comme un projet de longue date, le film de sa vie.

Est-ce qu'il faut en conclure qu'une fois arrivé à Hollywood, les auteurs (le mot est fort pour Cuaron, j'en conviens) rangent leur imagination et leur potentiel créatif, s'autocensurent et rentrent dans le rang, de manière automatique?

Plusieurs films tournés aux États-Unis par des réalisateurs étrangers, ayant le potentiel de grandes œuvres, se sont retrouvés au rang de films mineurs, voire carrément de série B, sans autre raison apparente que le formatage hollywoodiens des studios. Le phénomène touche particulièrement la science-fiction (souvenez-vous de "Sunshine", Danny Boyle 2007), mais aussi d'autres films d'expatriés aux USA.

On a beaucoup parlé de la standardisation des blockbusters ces dernières années, due notamment au livre  "Les règles élémentaires pour l'écriture d'un scénario" de Blake Snyder. On comprend très bien ce qui pousse les studios à normaliser le fond et la forme des films qui représentent un gros risque financier. On peut comprendre le public qui se rue en masse dans les theatres, il n'a pas tellement d'alternative, le pauvre, et tout le monde a droit à ses plaisirs coupables. En revanche, on comprend moins comment des auteurs indépendants, acclamés dans le monde entiers pour des films audacieux, qui bénéficient du soutien de bons producteurs (sinon, comment "Children of men"  ou "El laberinto del Fauno" qui furent deux fours financiers, auraient-ils vu le jour?), émigrent sur la Sainte Colline du Cinéma pour pondre des niaiseries à 200 millions de dollars...

S'il ne s'agit que d'un objectif économique - à savoir minimiser la prise de risque avec les studios pour faire péter le box-office, je crois qu'ils font fausse route et n'ont rien compris au système. Entendons-nous bien : un film comme "Gravity", avec son pitch en or, ses innovations technologiques, sa 3D parfaite, pouvait très bien avoir un scénario solide ET être un succès commercial. Le public n'est pas trop idiot, ou s'il l'est, il se contente des belles images pour faire passer la pilule de l'audace. De même pour "Pacific Rim" : des robots géants qui se tapent dessus! En 3D! Ils pourraient réciter du Sartre en voix-off pendant les combats, le public se ruerait en masse en salle pour voir ça! Et nous aurions pu nous réjouis de ces chefs-d’œuvre...

Y a-t-il dans l'air de Los Angeles une drogue diffuse qui amollit le cerveau (ou les testicules) des ces auteurs forts et indépendants, pour les transformer en Chris Colombus avec accent exotique? Ont-ils tellement peur de se prendre un four et se voir claquer la porte des studios qu'ils sabordent volontairement leur art? Ou - et c'est le plus effrayant - sont-ils persuadés de faire de bons films? OU EST PAUL VERHOEVEN???

Peut-être ne verrons-nous pas la fin de l'histoire. La prise d'otage des réalisateurs de talent par Hollywood se continuera encore et encore, et le syndrome de Stockholm leur fera rejouer leur couplet sirupeux à l'infini. Mais j'espère qu'un jour, un film (un seul gros succès suffirait à détruire ce système), montrera enfin qu'on peut faire des blockbusters intelligents, et gagner de l'argent avec.

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Commentaires
K
Tu es dur avec ce film, même si tes arguments tiennent la route. J'ai vu ce film et j'en ai une opinion différente. Je te rejoins pour la musique qui fait un peu musique d'ambiance dans les magasins Nature et Découverte.
K
Tu es dur avec ce film, même si tes arguments tiennent la route. J'ai vu ce film et j'en ai une opinion différente. Je te rejoins pour la musique qui fait un peu musique d'ambiance dans les magasins Nature et Découverte.
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